Concentrés pour leurs courses de la rentrée, la plupart des clients du Monoprix Bièvre dans le 13e arrondissement ne semblent pas soupçonner que juste au-dessus de leurs têtes, quatre sœurs sont en train d’aménager un jardin aussi rare que poétique : 677 m2 de culture de Crocus sativus, dont le pistil des fragiles fleurs violettes offrira la plus rare des épices, le safran.
En
cette soirée de lundi 3 septembre, Berengère, tout sourire, nous attend
derrière les locaux de l’enseigne à l’apostrophe rouge. Elle est la benjamine
des quatre sœurs à l’origine de la Maison d’agriculture
“BienÉlevées” et désignées le 18 juin dernier pour exploiter cette impressionnante
surface totale de presque 2 000 m2. Très vite, elle nous invite
à rejoindre l’ainée de la fratrie, Amela, déjà en haut, les mains dans la terre
pour planter les 35 000 bulbes originaires du Doubs et issus de l’agriculture
biologique, avec l’aide de bénévoles – voisins ou amis. “Nous venons de terminer d’installer les 484 bacs fournis par nos
partenaires de BACSAC. Nous sommes
donc pile dans les temps pour planter les bulbes, lesquels n’ont besoin que de
quelques mois pour germer”, explique alors Berengère, prête – et
manifestement impatiente ! – à enfiler sa tenue de jardinière. Car il faut
dire que le quatuor de jeunes femmes entretient une relation particulière avec l’agriculture
et le safran. “Si nous sommes
aujourd’hui parisiennes, raconte la Pariscultrice, nous sommes en réalité originaires du Bourbonnais, dans le nord de
l’Auvergne. Notre père est agriculteur et nous avons grandi à la campagne. Le
travail de la terre, c’est important pour nous et nous souhaitions perpétuer
cette pratique même en habitant en ville. Quant au safran, c’est une espèce qui
nous a fasciné très tôt, car elle possède un fort caractère mythologique :
c’est elle qui aurait arrêté Alexandre le Grand, alors qu’il s’apprêtait à
marcher sur la région du Cachemire. Son armée, se réveillant cernée par cette
plante qui fleurit en une seule nuit, aurait refusé de continuer plus en
avant.” Une belle histoire, mais qui contribue au préjugé selon
lequel Crocus
sativus ne pousserait qu’au
Moyen-Orient. “C’est tout à fait
faux, poursuit Berengère. Pour en
être certaines, nous avons d’abord fait pousser quelques plants chez nos
parents, puis sur nos balcons parisiens. À chaque fois, c’était un
succès !” Et pour cause : le climat de la Capitale se prête
en réalité parfaitement à l’exploitation de cette plante résistante au froid et
qui devrait même se satisfaire des précipitations pour s’épanouir. Malgré ces
qualités, hors de question de laisser l’exploitation sans surveillance :
si le safran fleurit en une nuit, il ne lui faut guère plus de temps pour se
flétrir. Rendez-vous est donc donné fin octobre, sur le fil du rasoir, pour
découvrir la toiture du Monoprix coiffée de violet et assister à la cueillette
de ces précieuses fleurs, dont 150 spécimens sont nécessaires pour produire un
seul gramme d’épice…